mardi 21 juillet 2009

L'Affaire Gad Elmaleh: Honte a Qui?

Dans cette affaire, nous sommes, comme d’habitude, entrain d’aborder la question par le mauvais bout. Avant de s’enflammer dans un sens comme dans un autre sur Facebook, il faudrait s’attarder sur les faits et poser les bonnes questions.

1- D’abord, il est tout à fait inacceptable qu’une station de tv diffuse une photo grossièrement fausse d’un prétendu Gad Elmaleh en soldat israélien pour appuyer son propos. C’est de la désinformation délibérée et cette station devrait être poursuivie pour faux et usage de faux.

2- Il n’y a eu aucune enquête journalistique sérieuse, ni de la part de cette station, ni de la part du quotidien francophone qui s'est constitue en fer de lance de l'indignation generale pour présenter au public libanais les preuves, tenants et aboutissants de cette affaire. Quels sont les faits ? Elmaleh a-t-il jamais servi dans Tsahal ? Quel degré de « soutien » a-t-il fourni a l’armée israélienne ? Etait-ce dans une sphère privée ou dans le cadre de ses activités publiques ?… Rien ! Les uns on fabrique des preuves et les autres ont fait des procès d’intention.

Cette affaire aurait pu être l’occasion d’initier un débat public intéressant au sein de la société libanaise. Le conflit arabo-israélien est un sujet qui polarise le monde entier et une énorme majorité des citoyens de la planète a une opinion bien arrêtée sur le sujet. En tant que peuple libanais solidaire, démocrate et fier, quel degré de sympathie pour Israel sommes-nous prêts a accepter au nom de la liberté d’opinion ? Qu’est ce qui constituerait un affront à la mémoire des milliers de tués libanais sous les bombardements israéliens ? Les opinions personnelles d’un artiste sont-elles suffisantes à faire censurer sa production artistique? Qu’en serait-il si ces opinions étaient publiques ? Faut-il juger l’artiste ou son œuvre ?

Supposons un instant que toutes les accusations contre Gad Elmaleh étaient vraies (merci aux journalistes de tous bords de nous avoir empêché d’arriver au fond de cette affaire). Le droit à la liberté fondamentale prime-t-il sur le droit a la dignité fondamentale ? … Le débat aurait pu être ouvert et l’on aurait tous pu apprendre quelque chose pour la prochaine fois qu’un artiste suspecté de sympathies pro-israéliennes se produit au Liban. La presse et les intellos ont vraiment raté une belle occasion de jouer aux faiseurs d’opinion dans cette affaire.

Au lieu de ca, nous avons créé un précédent bête et méchant basé sur de fausses preuves et le message que nous avons passé au monde était confus et dissonant. Nous avons, une fois de plus, montré l’image d’un pays divisé et intolérant non envers les autres mais entre ses propres composantes.

C’est ca la vraie honte !

lundi 30 mars 2009

Quelle majorité pour le Liban?

Le terme de « démocratie » est bien galvaudé de nos jours. Tout le monde la reclame mais malheureusement, chacun en a sa propre definition. Dernierement, l'utilisation abondante des termes "majorite" et "minorite" a donne a quelques uns la tres fausse impression que le systeme de gouvernance libanais est bien un systeme democratique bipartisan a l'occidentale. Depuis, on s'obstine à vouloir appliquer un carcan de démocratie populaire à un système qui ne l'est tout simplement pas. Non seulement notre système actuel est non démocratique, il ne représente même pas une plateforme susceptible d'évoluer un jour en démocratie de type occidental.

La structure sociale hétéroclite de notre pays a fait en sorte qu'une autocratie serait impossible à mettre en place. Il suffit de voir d'ailleurs les "dictatures" en place au sein de chaque communauté pour avoir un bon exemple de ce qu'aurait été le "système libanais" si notre une société était monolithique.

Nous ne voulons pas de cette démocratie par défaut, cette impuissance de dictature. C'est ce système-la qui donne naissance aux hérésies tel que le partage de l'exécutif et autres "tables de dialogue". Nous voulons une loi électorale capable de mener au pouvoir une majorité claire et à l’opposition une minorité claire. Un vrai mandat pour gouverner tout le pays face à un vrai programme de substitution. Malheureusement, l’état actuel du processus électoral et du débat politique ne permet ni l’un ni l’autre.

Parler de « majorité » et « minorité» dans l'etat actuel des choses est presque dangereux puisque cela crée l’illusion d’un droit acquis au monopole du pouvoir au profit d’un groupe soi-disant majoritaire mais qui reste sectaire et prisonnier du jeu des alliances. Il semblerait quand meme que toutes les factions politiques ont fait de cette "majorite" leur ultime but electoral.

Une confusion totale existe d’ailleurs entre les majorités tantôt au niveau communautaires et tantôt national. Le concept de majorité nationale est une fiction dans le système libanais actuel. La vraie question est de savoir si une majorité communautaire confère un ticket irréfutable pour le pouvoir exécutif. Tant que la démocratie libanaise restera une somme de dictatures, la réponse restera malheureusement «oui» et tous les gouvernements libanais, pour trouver un semblant de légitimité populaire, seront condamnés à sacrifier l’efficacité, la cohérence et l’imputabilité au profit de la stabilité (stagnation!) politique et sécuritaire.

Pour pouvoir nous débarrasser de cet éternel dilemme entre le mauvais et le pire et arriver à faire émerger le concept d’une vraie majorité nationale, il faudrait d’abord arrêter de nous projeter une image idéalisée de notre système pseudo-démocratique et accepter les dimensions communautaires de l’appartenance politique. Au lieu de garder les sensibilités communautaires dans le domaine du tabou et du reflexe, il faudrait, au contraire, leur donner la place qui leur revient par construction en les encadrant par des institutions républicaines. Il est nécessaire de conforter la représentation communautaire afin de favoriser l’émergence de débats démocratiques intra-sectaires et briser ces dictatures qui se nourrissent du repli identitaire.

Le meilleur moyen d’appliquer cette démocratie faite sur mesure pour le Liban serait d’introduire un tour de scrutin « communautaire » ou chaque communauté adoube ses représentants avant que ceux-là ne soient soumis au vote national proportionnel dans le cadre de coalitions ou de partis nationaux. Ce tour de scrutin mettra fin une fois pour toute aux acrobaties géographiques hypocrites qui, finalement, ne cherchent qu’a créer des circonscriptions mono-communautaires, asseoir des « zaims » de villages et frustrer les minorités locales en rendant leur vote caduque. Il nous semble que l’introduction de cette dose de communautarisme institutionnalisée dans le processus électoral est la seule manière d’encourager les voix dissonantes et les garde-fous au sein des communautés.

A l’ombre de ce système-la, donc, il n’y a pas de droit absolu de participation a l’exécutif à des majorités communautaires mais le champ est libre pour l’arrivée au pouvoir d’une vraie majorité nationale capable de gouverner seule tout en préservant une légitimité et une couverture communautaires aux individus qui la composent.

lundi 2 février 2009

Dialogue National: un vice de forme

Le Liban terre de dialogue, est un de ces clichés qui nous poursuivent depuis l’émergence de l’entité libanaise. Il est vrai que tout laisse croire que le Liban est un lieu prédestiné au dialogue : le caractère affable des libanais, leur ouverture sur le monde, la situation géographique du Liban au carrefour de différentes cultures, sa composition démographique… Certains iront même jusqu'à affirmer que la nature luxuriante du Liban adoucit les esprits les plus récalcitrants, que son architecture traditionnelle toute en alcôves, en balcons à fleurs et en bancs de pierre est une invitation au dialogue… La version cynique de la vérité est que nous sommes sans doute plus doués pour le beau parler et les figures de style pittoresques que pour le dialogue où écouter est aussi important que de s’exprimer. S’il n’existe pas une matrice d’idées centrale, une ligne directrice et une vraie volonté de compromis des participants, tout dialogue stagnera a jamais au stade de la conversation de salon… quelques individus qui prennent le café ensemble épisodiquement, le temps de faire une belle photo pour la presse.

Tout système démocratique se doit d’incorporer des mécanismes de dialogue continu nécessaires à sa propre perpétuation. Si les élections et les partis politiques sont les manifestations institutionnelles d’une démocratie, les rouages de la machine, le dialogue en est l’huile qui maintient un ordre de marche régulier en évitant les frictions excessives. Les institutions se doivent d’être les vecteurs du dialogue mais c’est derrière les coulisses que les consensus se font et que le dialogue devient efficace. Ceci n’est point une vision machiavélique de la politique, les canaux de dialogue ne doivent jamais prendre le dessus sur le processus officiel mais bien être les facilitateurs de ce processus… l’huile de la machine donc. L’exercice du pouvoir est une construction de décisions et mesures bâtie bloc par bloc sur la base de principes directeurs. Dans un pays comme le Liban, il est extrêmement important qu’un semblant de consensus accompagne la pose de chaque bloc car Il est inconcevable de remettre en question toute la structure à chaque nouvelle décision.

Au Liban, le « Dialogue » consiste donc à réunir quelques individus autour d’une table au rythme d’une audience par trimestre. Ce dialogue-la, version Loya Jirga, est une aberration. Son institutionnalisation à outrance a fini par cannibaliser la vie parlementaire et, malheureusement, vide l’échange de sa substance. Au Liban, pays des paradoxes on a réussi l’exploit d’institutionnaliser le dialogue et faire sombrer l’institution parlementaire dans un abysse de compromission et de suivisme qui ternit chaque jour son image.

Le dialogue, dans sa mouture actuelle hyper-institutionnalisée, réglementée et publique présente donc plusieurs faiblesses dues a la forme

  • Les questions de l’identité des participants, des critères de leur sélection et même de la disposition des sièges apparemment vont se poser en permanence et n’en finissent plus de dominer les débats
  • La formule actuelle très médiatisée oblige en quelque sorte toutes les parties invitées à participer pour faire bonne figure mais sans aucun mécanisme de suivi ni d’application, tout le monde a très vite compris la nature démagogique de l’exercice
  • Plus grave encore, les positions des différentes parties étant connues d’avance, la décision finale (si jamais on passe le cap des délibérations) montrera forcément le degré des concessions faites par chacune de ces parties. Il sera donc d’abord triplement plus difficile d’arracher ces concessions puis d’éviter la polémique du vainqueur/vaincu si une quelconque disposition est un jour adoptée (la polémique post-Doha en est un bon exemple)
  • Ce « dialogue » finalement profite plus aux dialogueurs qui se voient offrir une plateforme de plus qu’ils peuvent manipuler dans le jeu politique local pour mobiliser encore plus leur public

Il est donc urgent de basculer dans un format de dialogue plus efficace. Dans le système libanais, c’est au président de la république de fixer les priorités de son mandat et d’établir les lignes directrices de la politique de son administration. C’est a lui donc qu’échoit la tâche de générer de nouvelles idées, de faire preuve d’imagination et de flexibilité pour faire évoluer les différents points de vue et obtenir les concessions des uns et des autres. Le président de la république est donc certes un arbitre, mais un arbitre actif qui crée et mène le jeu et non un simple maître de cérémonie qui donne la parole aux uns et aux autres sur la « table de dialogue ». Au lieu de la table ronde certes symbolique, le « dialogue » devrait être un système continu de vases communicants passant par le président de la république et œuvrant à éviter les clashes avant qu’ils ne passent dans les domaines médiatiques et populaires avec les dégâts que l’on connait trop bien.