lundi 2 février 2009

Dialogue National: un vice de forme

Le Liban terre de dialogue, est un de ces clichés qui nous poursuivent depuis l’émergence de l’entité libanaise. Il est vrai que tout laisse croire que le Liban est un lieu prédestiné au dialogue : le caractère affable des libanais, leur ouverture sur le monde, la situation géographique du Liban au carrefour de différentes cultures, sa composition démographique… Certains iront même jusqu'à affirmer que la nature luxuriante du Liban adoucit les esprits les plus récalcitrants, que son architecture traditionnelle toute en alcôves, en balcons à fleurs et en bancs de pierre est une invitation au dialogue… La version cynique de la vérité est que nous sommes sans doute plus doués pour le beau parler et les figures de style pittoresques que pour le dialogue où écouter est aussi important que de s’exprimer. S’il n’existe pas une matrice d’idées centrale, une ligne directrice et une vraie volonté de compromis des participants, tout dialogue stagnera a jamais au stade de la conversation de salon… quelques individus qui prennent le café ensemble épisodiquement, le temps de faire une belle photo pour la presse.

Tout système démocratique se doit d’incorporer des mécanismes de dialogue continu nécessaires à sa propre perpétuation. Si les élections et les partis politiques sont les manifestations institutionnelles d’une démocratie, les rouages de la machine, le dialogue en est l’huile qui maintient un ordre de marche régulier en évitant les frictions excessives. Les institutions se doivent d’être les vecteurs du dialogue mais c’est derrière les coulisses que les consensus se font et que le dialogue devient efficace. Ceci n’est point une vision machiavélique de la politique, les canaux de dialogue ne doivent jamais prendre le dessus sur le processus officiel mais bien être les facilitateurs de ce processus… l’huile de la machine donc. L’exercice du pouvoir est une construction de décisions et mesures bâtie bloc par bloc sur la base de principes directeurs. Dans un pays comme le Liban, il est extrêmement important qu’un semblant de consensus accompagne la pose de chaque bloc car Il est inconcevable de remettre en question toute la structure à chaque nouvelle décision.

Au Liban, le « Dialogue » consiste donc à réunir quelques individus autour d’une table au rythme d’une audience par trimestre. Ce dialogue-la, version Loya Jirga, est une aberration. Son institutionnalisation à outrance a fini par cannibaliser la vie parlementaire et, malheureusement, vide l’échange de sa substance. Au Liban, pays des paradoxes on a réussi l’exploit d’institutionnaliser le dialogue et faire sombrer l’institution parlementaire dans un abysse de compromission et de suivisme qui ternit chaque jour son image.

Le dialogue, dans sa mouture actuelle hyper-institutionnalisée, réglementée et publique présente donc plusieurs faiblesses dues a la forme

  • Les questions de l’identité des participants, des critères de leur sélection et même de la disposition des sièges apparemment vont se poser en permanence et n’en finissent plus de dominer les débats
  • La formule actuelle très médiatisée oblige en quelque sorte toutes les parties invitées à participer pour faire bonne figure mais sans aucun mécanisme de suivi ni d’application, tout le monde a très vite compris la nature démagogique de l’exercice
  • Plus grave encore, les positions des différentes parties étant connues d’avance, la décision finale (si jamais on passe le cap des délibérations) montrera forcément le degré des concessions faites par chacune de ces parties. Il sera donc d’abord triplement plus difficile d’arracher ces concessions puis d’éviter la polémique du vainqueur/vaincu si une quelconque disposition est un jour adoptée (la polémique post-Doha en est un bon exemple)
  • Ce « dialogue » finalement profite plus aux dialogueurs qui se voient offrir une plateforme de plus qu’ils peuvent manipuler dans le jeu politique local pour mobiliser encore plus leur public

Il est donc urgent de basculer dans un format de dialogue plus efficace. Dans le système libanais, c’est au président de la république de fixer les priorités de son mandat et d’établir les lignes directrices de la politique de son administration. C’est a lui donc qu’échoit la tâche de générer de nouvelles idées, de faire preuve d’imagination et de flexibilité pour faire évoluer les différents points de vue et obtenir les concessions des uns et des autres. Le président de la république est donc certes un arbitre, mais un arbitre actif qui crée et mène le jeu et non un simple maître de cérémonie qui donne la parole aux uns et aux autres sur la « table de dialogue ». Au lieu de la table ronde certes symbolique, le « dialogue » devrait être un système continu de vases communicants passant par le président de la république et œuvrant à éviter les clashes avant qu’ils ne passent dans les domaines médiatiques et populaires avec les dégâts que l’on connait trop bien.